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Qu’est-ce que la comptabilité CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) ?
La notion initiale du modèle CARE, une comptabilité en « triple capital » prenant en compte les impacts environnementaux et sociaux au-delà du financier, a été proposée en 1992 par Robert Gray, enseignant écossais en comptabilité. En 2012, Jacques Richard et Alexandre Rambaud, chercheurs à Paris-Dauphine, ont développé cette idée et l’ont nommée CARE (« Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement »).
Rappel : périmètre de la finance durable et critères ESG
La finance durable regroupe trois piliers :
- la finance verte, dans l’objectif de financer des actions à impact positif sur la préservation de l’environnement ;
- la finance responsable ou socialement responsable (enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, soit ESG) ;
- la finance solidaire pour des projets d’utilité sociale.
Les critères ESG permettent d’évaluer la manière dont une entreprise intègre concrètement les enjeux de durabilité dans ses processus et sa stratégie. Ces critères non financiers exigent donc des indicateurs clés, des outils de mesure et des métriques.
Finalement, si la notion de comptabilité s’étend au-delà de la finance, elle devrait répondre à ce besoin de chiffrage et de suivi. C’est tout l’objectif de la méthode CARE.
La méthode CARE, une comptabilité orientée sur une préservation financière, environnementale et humaine
La comptabilité CARE est une des méthodes qui surgissent dans les services financiers pour répondre aux besoins du développement durable. Ce processus étend le suivi des capitaux financiers classiques aux capitaux humains et naturels. L’entreprise s’attache à organiser sa rentabilité autour de ce triptyque, sans dégrader aucun des trois piliers.
Dans la comptabilité traditionnelle, les ressources financières (capitaux propres et dettes) sont employées pour acquérir ou maintenir des actifs. Ces actifs se conservent en état ou se renouvellent grâce aux amortissements. Dans la comptabilité CARE, le processus est identique pour le capital naturel et le capital humain. Par exemple, le capital que constitue la forêt pour un ébéniste doit être maintenu. En revanche, l’arbre dans la forêt peut se consommer pour l’activité économique.
Déploiement de la comptabilité CARE : méthode et exemples concrets
Alors, comment insérer ces nouveaux axes comptables dans un système classique basé sur les flux financiers de l’entreprise ? Une organisation qui souhaite lancer un projet selon le modèle CARE doit déployer des méthodes d’évaluation des capitaux non financiers.
Chiffrage des engagements de l’entreprise sur le plan du capital naturel ou humain
Il s’agit d’abord d’identifier les ressources que l’entreprise doit maintenir, tant sur le plan de la nature et des écosystèmes que des êtres humains. Puis, la démarche CARE comporte une phase d’évaluation de l’état socialement acceptable de ces ressources. Pour se faire, la méthode préconise de recourir à des études et à des scientifiques spécialistes de chaque domaine. Par exemple, le processus conduit à la définition de seuils écologiques pour l’entreprise, donc d’objectifs à suivre, en vue du maintien du capital naturel.
Ensuite, la comptabilité CARE consiste à déterminer la valeur comptable du capital humain ou environnemental. Selon CARE, cette valeur correspond aux ressources nécessaires pour que la structure puisse conserver son capital au niveau fixé précédemment (les seuils). Ainsi, les services financiers établissent des budgets destinés à garantir ce maintien des capitaux de l’entreprise.
Exemple concret de chiffrage d’engagements en matière de capitaux humains ou écologiques
Pour un agriculteur, le capital écologique se valorise par exemple sur un critère comme le taux de produits polluants acceptable au niveau des sols. La comptabilité CARE évalue le coût des actions à déployer pour respecter ce niveau tolérable. Ce montant s’enregistre en comptabilité en dettes, au passif du bilan. Périodiquement, le critère fait l’objet d’une évaluation pour vérifier et ajuster la dette comptable.
En termes de capital humain, l’entreprise cherche à assurer la santé et à limiter les risques psychosociaux de ses partenaires, salariés, fournisseurs comme clients. Elle se base sur des études sérieuses et scientifiques, les avis des ergonomes, la médecine du travail, etc. Par exemple, pour un tel projet CARE, elle fixe des seuils pour la qualité de l’air dans ses locaux. Puis, elle mesure les coûts nécessaires pour atteindre cet objectif et suis chaque année les écarts aux objectifs. C’est son engagement.
Présentation des comptes et reporting avec la comptabilité CARE
La comptabilité CARE ne touche pas à cette heure les comptes annuels légaux. Pour le moment, la législation comptable ne prévoit pas la présentation des capitaux environnementaux et humains. C’est donc un format comptable qui reste interne à l’entreprise ou qui se présente sous la forme d’un reporting extra-financier.
Dans ce cas, le bilan comporte :
- trois postes de capital distincts : financier, écologique et humain ;
- trois postes d’amortissement pour chaque type de ressources ;
- la dette qui correspond aux engagements de l’entreprise en vue d’assurer le maintien de ses différents capitaux.
Avantages et limites du modèle de comptabilité CARE
Avec CARE, ce n’est plus une, mais trois comptabilités qu’il conviendra de tenir.. Ce schéma ouvre de réelles perspectives, reste à maturer son déploiement.
Les atouts de la méthode CARE dans le cadre d’une démarche ESG et d’un reporting extra-financier
Nous avons listé de nombreux points positifs qui devraient vous intéresser :
- La comptabilité CARE apporte une méthode structurante pour les entreprises désireuses de développer une réelle démarche RSE.
- Le fait de mettre les trois natures de capitaux à égalité sur le plan comptable évite aux investisseurs de faire l’impasse sur un des facteurs. Cela revalorise les capitaux extra-financiers.
- CARE favorise la recherche de solutions et d’actions concrètes en vue d’une mise en œuvre effective, plutôt que de tenter de compenser (notamment les émissions de gaz à effet de serre).
- En anticipant sur les mesures à déployer pour respecter les seuils écologiques ou sociaux, l’entreprise n’accroît pas les écarts entre sa situation et les besoins pour la conservation des capitaux. Elle améliore ses performances globales.
- La comptabilité CARE peut servir de support pour prioriser les actions en fonction des ressources disponibles.
- En tablant sur des données scientifiques normalisées à minima dans chaque domaine, l’entreprise disposerait d’indicateurs robustes.
Les limites et inconvénients du processus comptable CARE pour une PME
Autant la méthode CARE semble séduisante, autant elle s’avère parfois complexe à mettre en place de façon concrète. Son implémentation demande de la réflexion, de la recherche, des interviews de spécialistes, etc. Les PME manquent souvent de ressources internes pour y parvenir seules et rapidement. En outre, même si la tendance de reporting extra-financier s’accroît, le concept reste parfois flou pour les petites et moyennes entreprises.
À ce stade, aucune obligation légale n’existe pour la grande majorité des TPE / PME. Toutefois, les obligations augmentent en Europe et en France. Citons :
- 2017 : la DPEF (déclaration de la performance extra-financière), traduction de NFRD (Non Financial Reporting Directive) pour les entreprises côtées
- 2019 : Loi Pacte & European Green Deal vers le NetZero en 2050
- 2021 Taxonomie Européenne : classification des activités économiques durables
- 2024 la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) : Normalisation et extension du reporting extra-financier. A compter de 2026, elle concerne les PME cotées en bourse.
Pourquoi attendre la contrainte d’une obligation légale pour initier une réflexion de “comptabilité CARE” ? Il nous semble que les PME avant-gardistes sur ce sujet bénéficient déjà d’un capital sympathie de la part des employés, d’un capital respect de la part des clients, et d’un intérêt particulier de la part des investisseurs.
Le projet de reporting extra-financier exige de l’organisation et de la méthode dès la phase de questionnement, et quelle que soit l’activité.
Avec les enjeux RSE et ESG actuels dans les entreprises, nul doute que les Directeurs Financiers ont un rôle à jouer dans le reporting extra-financier : En tant que spécialistes de la structuration et de la collecte d’informations financières, ils mettent leur savoir-faire au service de la collecte d’informations non financières.